Essen, c’était mieux avant… ou pas?
Ren:
Essen. Les 5 lettres magiques devant lesquelles tout amateur de jeux de société normalement constitué se prosterne respectueusement. Le lieu de pèlerinage annuel. L’endroit que tout joueur digne de ce nom rêve de voir une fois au moins dans sa vie (et plusieurs fois de préférence). Le nirvana absolu.
Vous comptiez justement y aller cette année pour la première fois, enfin, les yeux pétillants de joie, le cœur battant et le portefeuille bien garni. Mais voilà que vous croisez votre cousin Alfred quelques jours avant le départ, qui vous lâche un sentencieux « Essen, c’était mieux avant ». Et c’est le choc. Le doute s’installe dans votre esprit. Et si cousin Alfred avait raison? Et si Essen ce n’était plus ce que ça a été? Et si Essen était surfait? Après tout vous respectez énormément cousin Alfred, c’est votre aîné de 2 ans, et c’est lui qui vous a initié au monde du jeu de société. Ha les merveilleux dimanches après-midi passés à jouer au Monopoly, au Milles Bornes, au Risk, au Stratego… Quid?
Hé bien non, n’écoutez pas les persifleurs et les critiqueurs en tout genre, Essen ce n’était pas mieux avant! Nous y allons depuis plus de 10 ans, nous avons un peu de recul sur le sujet, je l’affirme donc haut et fort, pour un vrai fan de jeux de société Essen c’est méga top aujourd’hui, voici pourquoi:
Tout d’abord, le monde. Certains disent qu’il y a maintenant trop de monde au Messe. Je réfute. Il y a autant (=beaucoup) de monde qu’avant, c’est-à-dire que les salons sont pleins à craquer. Mais ça reste plus que raisonnable, surtout si vous réussissez à venir le jeudi ou le vendredi. C’est sûr que le weekend c’est un peu plus tendu, mais en tout cas il n’y a pas plus de monde qu’avant.
Ensuite les jeux. Chaque année c’est la même chanson sur plein de forums: « Essen n’a pas l’air terrible cette année », « Il n’y a pas beaucoup de bonnes sorties pour Essen », « Il n’y a rien de bon ». Et chaque année c’est le même résultat: il y a plein de bons jeux qui sortent, et il y a encore des super jeux géniaux incroyables qui sortent régulièrement. En dehors du fait que Essen (l’événement en lui-même) n’a évidemment aucune influence sur la qualité des jeux qui sortent, il y a un avantage énorme à être présent sur place, avantage qui n’a pas diminué avec les années, que du contraire même: on peut voir, sentir, toucher les jeux, on peut discuter avec les auteurs et, plaisir suprême, on peut évidemment les essayer!!! Ben oui c’est basique comme argument mais c’est imparable: en deux jours de salon (plus les soirées du mercredi et du jeudi) on joue en moyenne à une bonne vingtaine de jeux. Si on ajoute à ça tous ceux qu’on a regardés, touchés, reniflés (pour avoir une sensation, un avant-goût) et tous ceux pour lesquels on a demandé un feedback à des gens occupés à jouer, on arrive à au moins 50 jeux pour lesquels on peut se faire une première opinion. Un nombre assez faramineux, et surtout un plaisir énorme en tant que joueur! Et bien sûr un avantage conséquent en tant que chroniqueur (« ok celui-ci on y a joué, naze. Celui-la pas joué mais vu et discuté avec un joueur, a l’air top, à essayer absolument »…). Essen reste plus que jamais un endroit merveilleux pour voir un en laps de temps très court un nombre incroyable de jeux différents.
On parle Allemand. La vieille rengaine. « Ha mais je vais rien comprendre, je capte que dalle quand les Teutons parlent ». Coup de bol pour vous, le monde change (même les Allemands, si si). Et les changements sont visibles sous différents aspects. Tout d’abord il y a beaucoup plus de personnes dans les stands qui parlent anglais et français (et parfois d’autres langues, surtout sur les « gros » stands) pour expliquer les jeux. Autant il y a 15 ans c’était parfois la croix et la bannière pour se faire expliquer un jeu, autant aujourd’hui c’est plutôt le contraire, il est relativement rare de tomber sur un stand dans lequel la ou les personnes ne parlent qu’allemand (sauf pour les jeux spécifiquement destinés au public allemand, genre la réédition du trivial pursuit en allemand, mais vous conviendrez avec moi que c’est un moindre mal en ce qui nous concerne…). Ensuite, cause principale de mon premier point, il y a beaucoup beaucoup beaucoup plus d’étrangers aujourd’hui qu’il y a 15 ans. On entend tout le temps parler français et anglais (principalement) mais aussi espagnol, italien, coréen, japonais… Bref (si vous parlez une de ces langues évidemment, mais à priori le français ça devrait être ok, sinon je ne sais pas ce que vous foutez sur ce site, le cas échéant vous seriez vraiment une burne de compétition, de toute manière je peux me permettre de dire ça vous ne pigez pas un mot de ce que vous lisez en ce moment), bref disais-je, vous avez plein d’occasions si vous le désirez d’échanger avec d’autres joueurs, de poser des questions, de demander un tuyau, de partager votre découverte du jour… Last but not least, non seulement les démonstrateurs parlent d’autres langues que l’allemand, non seulement il y a plein d’étrangers comme vous dans les couloirs, mais en plus il y a aussi plein de stands étrangers! Il y a 15 ans on faisait tout un cirque parce qu’un éditeur français avait un misérable stand de 4m² et c’était quasi fête nationale avec feu d’artifice et remise de la légion d’honneur! Aujourd’hui les éditeurs français ont des stands de 12 millions de km². Mais surtout il y a plein de stands colonisés par des éditeurs (y compris des micro-éditions, i.e. l’auteur du jeu qui fait me myself and I) du monde entier. Les anglais et les américains bien sûr, présents depuis pas mal de temps. Les japonais, et maintenant les coréens. Les italiens, les tchèques et les polonais, depuis un certain aussi. Mais j’ai également joué récemment à des jeux chiliens, portuguais, chinois, polonais, hollandais, finlandais, j’en passe et des meilleurs! Et ça, c’est vraiment génial! Voir des jeux du monde entier, faits par des gens qui n’ont pas le même système de valeurs, pas la même manière de penser, pas les mêmes références au niveau culturel, artistique, social c’est vraiment top. On tombe sur des choses bizarres, surprenantes, intéressantes, nulles, géniales. Mais ça fait réfléchir et ça titille la curiosité et le plaisir.
On ne fait plus de bonnes affaires en occase. C’est peut-être le seul point sur lequel les nostalgiques de la première heure auront (en partie) raison. Les premières années à Essen il y avait moyen de faire des affaires de fou. De bons jeux à des prix normaux (=très raisonnables). Voire des jeux légendaires à des prix « ridicules ». Ce temps est quasi terminé. Mais ça n’a rien à voir avec Essen. Ca a tout à voir avec l’évolution de la société de manière générale. Les jeunes d’hier sont devenus plus âgés, ils ont un boulot, des moyens. Et il y a beaucoup plus de monde (tant mieux!) qui s’intéresse au jeu de société. Et quand tous ces gens veulent se faire plaisir, ben hop, on sort les biffetons direct! Sans parfois trop réfléchir (en tout cas certains):
« ho tu as vu ils ont un Full Métal Planète en bon état »
« ils le vendent à combien? »
« 200 euros »
« quoi seulement? Prends le vite, quelle bonne affaire! »
Et le fait que si le jeu sortait aujourd’hui on n’en vendrait pas 10 boîtes ne dérange nullement tout ce petit monde… Donc non on ne fait plus de super bonnes affaires, mais on n’en fait plus nulle part (sauf à avoir de la chance ou tomber sur un innocent). Et de toute manière je n’ai jamais été à Essen pour acheter, je préfère acheter dans mon magasin en dur près de chez moi pour aider le petit commerce (c’était la minute bienpensante hypocrite moralisatrice).
Les saucisses sont moins bonnes qu’avant. Là je m’insurge de la manière la plus catégorique et ferme qui soit. Non la nourriture n’est pas moins bonne qu’avant. Elle est dégeulasse aujourd’hui, elle était dégeulasse hier, elle sera dégeulasse demain. Pardonnez cette vulgarité mais je me dois d’être clair et direct. On ne va pas à Essen pour manger, ça n’a aucun intérêt. Comme dirait G33K le Dieu de la junk food dans les Notes de Boulet « mange une pizza: pas de couverts, pas de vaisselle, ça te donne plus de temps pour surfer »! Et bien ici le principe est le même avec le jeu. Imaginez ce qui se passerait si la nourriture était bonne. On aurait envie de s’asseoir, de savourer, d’en reprendre. Bref on perdrait plein de temps normalement utilisé pour jouer. Impensable! Donc c’est une donnée de base, immuable, la nourriture à Essen est mauvaise. Et c’est très bien ainsi, ça permet de consacrer le maximum de temps à l’activité prioritaire, i.e. jouer (NB mon régime habituel les deux jours: un pain saucisse, un ou deux paquets de popcorn, une pomme, un chocolat. Parfaitement équilibré avec à peu près 60% de sucre, 40% de graisse et le reste de divers, soit le ratio idéal pour 1. assurer la survie en milieu hostile 2. favoriser la concentration lors de l’écoute de règles)
En résumé, vous l’avez maintenant compris, Essen c’était pas mieux avant. Essen c’est mieux maintenant, ça n’a jamais été aussi génial en fait! Je pourrais ajouter qu’en ces temps de misère affective de plus en plus généralisée (« wouaw j’ai 300 amis sur Fessebouc » « Ouais mais combien irl? Et tu les as vu quand pour la dernière fois? ») le fait de passer 1, 2, 3 ou 4 jours en compagnie de milliers de personnes qui partagent la même passion que vous, avec qui vous pouvez parler, échanger, discuter, rire, jouer, ben c’est juste le pied total.
Essen, c’est (encore) mieux maintenant! Et je peux vous dire que je sais où je serai de mercredi soir à vendredi prochain… 🙂